Dans un monde qui valorise de plus en plus la performance physique, une nouvelle forme de trouble comportemental a émergé dans le paysage sportif : la bigorexie. Souvent confondue avec une simple addiction à l’exercice, cette pathologie va bien au-delà d’une pratique régulière intensive. Elle renvoie à une altération profonde de l’image corporelle, souvent mal comprise et minimisée dans l’opinion publique.
La bigorexie — également appelée dysmorphie musculaire — est un trouble reconnu par l’OMS. Elle se manifeste par une obsession du corps perçu comme insuffisamment musclé, même lorsque le physique atteint est objectivement considéré comme athlétique. Ce trouble peut affecter durablement la santé mentale et sociale de l’individu qui en souffre.
Les symptômes se déclinent selon trois critères principaux : obsessions autour de défauts physiques invisibles pour l’entourage, comportements répétitifs (examen fréquent du corps, comparaison constante aux autres, etc.) et une détresse significative affectant la vie sociale, professionnelle ou personnelle.
Les personnes atteintes de bigorexie, malgré une apparence très travaillée, vivent dans une insatisfaction corporelle permanente. Cela conduit souvent à de l’isolement, à l’abandon de certaines activités sociales, à des blessures dues à une surcharge d’entraînement, et parfois même à l’usage de substances dopantes. Une étude de 2014 a ainsi révélé que 58 % des personnes atteintes de cette pathologie évitent certains lieux ou événements à cause de leur image corporelle.
La distinction entre pratique intensive et trouble obsessionnel n’est pas toujours évidente. Nombre de sportifs ambitieux peuvent s’identifier à des comportements dépeints comme extrêmes : entraînements quotidiens, sacrifices personnels ou sociaux, rigidité dans les routines de vie. Pourtant, c’est moins la fréquence des entraînements que leur impact sur le bien-être global qui doit alerter.
À la frontière avec la bigorexie, se trouve l’addiction au sport, un phénomène souvent amalgamé à la bigorexie mais qui reste distinct. Dans ce cas, la pratique sportive ne sert plus un but précis comme la transformation corporelle, mais devient une fin en soi. Elle est poursuivie malgré des effets délétères : douleurs, blessures, isolement social, ou stress émotionnel en cas d’interruption de la pratique.
Si l’on observe des pensées obsessionnelles autour de l’activité, une perte de contrôle, ou des sensations de manque en cas d’arrêt, le praticien peut évoquer un trouble addictif. Les sportifs d’endurance, notamment dans des disciplines comme le triathlon ou le marathon, sont particulièrement à risque.
Parce que l’addiction au sport est un domaine d’étude encore jeune, il n’existe pas encore de consensus scientifique sur une définition unique ni de grilles de diagnostic normées. Cela explique en partie pourquoi ce phénomène reste largement inapparent ou minoré dans les centres de soins, et souvent mal abordé dans les médias.
Les reportages portant sur la bigorexie ou l’addiction à l’exercice tendent à confondre des athlètes passionnés ou intensément investis avec des malades. Cette confusion nuit à la compréhension du phénomène et à sa reconnaissance. Les journalistes, en s’appuyant sur une vision subjective de ce qu’est une pratique « normale » du sport, biaisent leur narration et perturbent la perception populaire.
Dépeindre une personne s’entraînant six jours par semaine comme addictive sans évaluation clinique biaise la discussion. De fait, trop de productions médiatiques reposent davantage sur des préjugés que sur une réelle enquête ou validation thérapeutique.
Nombre de champions, tels que Michael Jordan ou Kobe Bryant, incarnent aux yeux du public une détermination exceptionnelle. Pourtant, ces mêmes comportements seraient considérés comme préoccupants chez un sportif amateur. Cela illustre la tolérance incohérente que la société accorde à l’excès quand il est synonyme de performance au plus haut niveau.
Ainsi, les critères de diagnostic d’une addiction, tels que l’entraînement malgré la douleur, l’isolement social ou la souffrance mentale, sont paradoxalement les attributs que l’on glorifie lorsqu’ils mènent à l’exploit. Il est alors légitime de se questionner : peut-on atteindre ce niveau d’excellence sans tomber dans une forme de dépendance ?
L’objectif n’est pas de dissuader les passionnés de poursuivre leurs objectifs, mais d’encourager une relation équilibrée avec l’activité physique. Bouger est essentiel pour la santé. Mais si cela se fait au détriment des autres aspects de la vie, il devient important de consulter et d’en parler avec un professionnel de santé ou un psychologue du sport.
De nombreux athlètes amateurs organisent leur planning autour de leurs séances, réduisent leurs interactions sociales ou ressentent de la culpabilité lorsqu’ils manquent un entraînement. Cela ne les rend pas nécessairement addicts. Ce qui différencie passion et trouble, c’est le niveau de souffrance et les conséquences négatives sur la vie dans son ensemble.
La bigorexie et l’addiction au sport sont des réalités médicales qui nécessitent d’être reconnues, comprises et traitées avec sérieux. Promouvoir une pratique sportive saine, c’est aussi en connaître les dangers potentiels, pour mieux les éviter ou les repérer. Car même une activité bénéfique comme le sport peut devenir problématique lorsqu’elle s’impose de manière rigide et compulsive dans la vie d’un individu.
Les sportifs n’ont pas besoin de suspicion, mais de compréhension. Il appartient aux professionnels de santé, aux éducateurs et aux journalistes d’adopter une approche responsable et éclairée, permettant d’informer correctement sans stigmatiser ou caricaturer. Car après tout, le sport est un outil formidable… lorsqu’il reste un choix libre et épanouissant.